Voici un additif aux règles de Deadlands qui te sera certainement utile pour gérer tes conflits politiques dans ta campagne. Ici tu trouveras la version officielle de la Guerre de Sécession.

La guerre que les Américains appellent la “Guerre civile” naît d'une opposition profonde entre le sud et le nord des États-Unis, non seulement du point de vue économique et démographique, mais encore, et peut-être surtout, du point de vue des valeurs, de la civilisation et de la culture politique – vieilles, en 1860, de plusieurs décennies. Fratricide et acharnée, la guerre n'a abouti qu'à des résultats mitigés, mais elle occupe une place fondamentale dans la mémoire de la nation américaine.

 

    1. Les origines du conflit

La campagne présidentielle de 1860 et l'élection du républicain nordiste Abraham Lincoln sont, sans conteste, les événements qui ont mis le feu aux poudres. Le Sud interprète la victoire républicaine comme une menace de remise en cause de ses droits et de ses traditions, en particulier sur la question de l'esclavage. Cependant, malgré les prises de position nettement antiesclavagistes de la plate-forme électorale républicaine, rien n'autorise à penser, a posteriori, que Lincoln projetait de démanteler, par la contrainte de la loi fédérale, la base économique et morale de la civilisation du Deep South, le Sud profond.

 

    2. Un système “toléré” par le Nord

L'esclavage n'était pas, en effet, un objet de contestation généralisée de la part de la population du Nord, pour peu qu'il restât limité, dans sa pratique et dans ses conséquences, à la zone traditionnellement identifiée comme le Sud, bornée à l'ouest par le cours du Mississippi et au nord par celui de l'Ohio. Certes, depuis une génération, l'abolitionnisme avait sérieusement progressé dans la société urbaine et industrielle du Nord. Les populations y étaient heurtées, dans leur conception du droit des gens, par des pratiques telle la poursuite des esclaves en fuite vers le nord, que les propriétaires du Sud revendiquaient comme la simple conséquence de leur droit de propriété (garanti par la Constitution américaine) et à laquelle les autorités nordistes étaient tenues de collaborer (dans des limites précisées par une loi fédérale de 1850, qui avait suscité une hostilité croissante).

 

    3. L'intégration des États esclavagistes

L'enjeu est autrement plus grand lorsqu'il s'agit d'étendre géographiquement le système esclavagiste, et, de ce point de vue, Nord et Sud n'en sont pas à leurs premières frictions. En 1818, la demande d'admission du Missouri, État esclavagiste, dans l'Union avait provoqué une grande controverse au Congrès, qui s'était résolue, en 1821, par l'adoption d'un compromis: le Missouri entrait dans l'Union, mais désormais plus aucune création d'État esclavagiste ne serait admise au nord d'une latitude de 36° 30'. Cette limite très méridionale avait poussé les sudistes à plaider pour la conquête des territoires mexicains du Texas dans les années 1840. Ils obtinrent que le régime “libre” (non esclavagiste) ne s'appliquât pas à ces zones, une fois qu'elles furent annexées aux États-Unis. Mais le point d'achoppement le plus grave restait les nouveaux territoires des plaines de l'Ouest, terres de pionniers et de fermiers encore peu peuplées, où le travail libre (clé de l'idéologie du parti républicain) pouvait être menacé, économiquement, par une progression incontrôlée des effectifs du travail servile. La querelle se focalisa, en 1854, autour de l'admission du Kansas et du Nebraska – situés tous deux au nord du 36e parallèle –, pour lesquels on décida finalement d'abandonner le compromis du Missouri et de laisser au libre choix des habitants la législation concernant l'esclavage. Le résultat fut dramatique, car la querelle se transporta sur le terrain, et se régla par des violences terribles entre colons fraîchement et massivement venus du Sud pour faire triompher leurs vues et fermiers abolitionnistes.

 

    4. Les élections de 1860

Cet épisode eut des conséquences politiques: il aida à identifier le combat contre l'esclavage avec le camp républicain et à interpréter les manœuvres du parti démocrate (alors au pouvoir avec le président James Buchanan, et majoritaire au Congrès) comme inféodées aux intérêts du Sud. L'affaire Kansas-Nebraska précipita aussi le déclin du parti whig, le parti républicain rassemblant de plus en plus de suffrages au Nord et à l'Ouest. La donne de l'élection de 1860 est directement issue de cette modification du système bipolaire parti whig-parti démocrate qui avait jusque-là prévalu aux États-Unis. Face à Lincoln, les démocrates se divisent et se présentent aux électeurs avec deux candidats, l'un, Stephen A. Douglas, simplement “compréhensif” à l'égard des revendications sudistes, l'autre, John C. Breckinridge, incarnant la ligne dure de l'esclavagisme. Il faut dire que le climat s'était encore durci, pendant l'année 1859, avec l'épisode du raid de John Brown, un républicain blanc du Nord, contre la ville de Harpers Ferry, d'où il espérait entraîner les esclaves de Virginie à la révolte. L'entreprise fut un échec complet, et Brown fut lynché, mais l'épisode avait terrorisé la société blanche du Sud, aggravé le ressentiment anti-yankee, et affaibli Douglas dans l'électorat des fermiers et des petits propriétaires.

 

    5. Les “États confédérés d'Amérique”

La victoire de Lincoln, qui n'aurait pas été possible sans la division des voix démocrates, est suivie presque immédiatement, en décembre 1860, par la déclaration de sécession de la Caroline du Sud. En janvier 1861, le Mississippi, la Floride, l'Alabama, la Géorgie, le Texas et la Louisiane la rejoignent; le 8 février 1861, ils créent les “États confédérés d'Amérique”, présidés par Jefferson Davis. À ce stade, la question se pose de savoir si ces États pouvaient, en droit, décider de quitter l'Union de leur propre chef, autrement dit si la Constitution de 1787 faisait des États-Unis une simple assemblée d'États souverains ou bien un véritable État fédéral. Le débat, en vérité, avait été ouvert en 1828, lorsque le Congrès avait adopté une loi tarifaire protectionniste qui souleva un tollé parmi les gens du Sud, partisans de la liberté intégrale du commerce. La Caroline du Sud répondit, en 1832, par une ordonnance de “nullification” qui suspendait sur son territoire l'exécution de la loi tarifaire fédérale, qu'elle déclarait contraire à la Constitution. Le président Jackson réagit avec fermeté, déniant le droit à un État individuel de se soustraire à l'application d'une loi émanant du Congrès. Un compromis fut trouvé, mais la doctrine de la nullification continua d'influencer profondément la pensée politique des gens du Sud et fraya la voie de la sécession.

 

    6. Le déroulement de la guerre

Elle commence – peu après que Lincoln eut rappelé fermement, dans son discours d'investiture, que l'Union des États était “perpétuelle” – par une attaque sudiste contre Fort Sumter, une place défendant l'entrée de la baie de Charleston, en Caroline du Sud. Le Tennessee, l'Arkansas, la Virginie et la Caroline du Nord rejoignent alors le camp confédéré.

 

    7. Les atouts nordistes

Les forces en présence donnent en apparence un net avantage au Nord. Les États frontaliers (Border States) de l'Ouest n'ont pas suivi la sécession, non plus que certains États méridionaux, comme le Kentucky ou le Missouri. Le camp nordiste rassemble donc dix-neuf États contre onze, et 22 millions d'habitants contre 9 millions (parmi lesquels 3 millions d'esclaves, dont on a pu craindre – à tort – qu'ils se révoltent à tout moment). Le Nord dispose très vite de la maîtrise des mers, ce qui lui permet d'imposer le blocus économique du Sud: les débouchés portuaires de la façade atlantique sont neutralisés dès 1861-1862 (provoquant, indirectement, une crise de l'industrie cotonnière en Europe), et la prise de La Nouvelle-Orléans, en mai 1862, prive les confédérés de l'axe de navigation essentiel qu'est le Mississippi, par où transitait une large part de leur ravitaillement. La supériorité logistique des fédéraux ne fait pas non plus de doute: le Nord bénéficie, en particulier, d'un réseau de chemins de fer beaucoup plus développé, et d'un meilleur équipement industriel.

 

    8. Une issue incertaine

Cependant, la guerre de Sécession sera longue et impitoyable, et l'issue en restera longtemps indécise. À cela, plusieurs raisons: l'improvisation dans laquelle débute le conflit, les États-Unis n'ayant pratiquement pas d'armée régulière à cette époque; l'acharnement avec lequel les sudistes se défendent, persuadés que leur survie est en jeu, face à un camp nordiste où la conviction est sans doute moins forte. Les confédérés disposent en outre d'un haut commandement et d'un corps d'officiers de qualité très supérieure – du moins jusqu'en 1864, date à laquelle les généraux Grant et Sherman prennent les rênes de l'armée nordiste. D'autre part, les sudistes se battent presque immédiatement chez eux et tirent profit de leur plus grande connaissance du terrain. Enfin, au nord, l'administration Lincoln, peu expérimentée, doit combattre les oppositions et gagner les élections de 1864 tout en gérant le conflit.

 

    9. Des pertes humaines importantes

On estime souvent que la guerre de Sécession est la première guerre moderne. Elle l'est, en effet, si l'on considère le recours à la conscription – mal acceptée dans le Nord, où elle provoque des émeutes, à New York, en 1863 –, les effectifs militaires mis en jeu – au plus fort du conflit, près de 1 million d'hommes du côté nordiste, et près de 700 000 du côté opposé –, le poids des différentes armes – effacement de la cavalerie au profit de l'infanterie, équipée de fusils “rayés” à répétition –, l'importance décisive des transports, les innovations dans les techniques de défense (tranchées, remblais)... Elle demeure aussi, avant tout, une guerre civile. Aucun moyen n'est jugé indigne pour faire plier l'adversaire: exécutions sommaires de prisonniers, actes de guérilla, mises à sac de villes, massacres de civils. L'acharnement des combats, la tactique de l'offensive à outrance – toujours très coûteuse en hommes – préconisée par le général confédéré Lee et la médiocrité des services sanitaires n'expliquent pas seuls le nombre de victimes, qu'on estime à 620 000 parmi les militaires des deux camps, et à 50 000 au moins parmi les civils sudistes.

 

    10. Capitulation sudiste

Pendant les deux premières années, la guerre s'enlise sur le front oriental, entre les monts Appalaches et la côte atlantique, où sudistes et nordistes cherchent à forcer la décision en dirigeant des expéditions contre les capitales toutes proches, Washington (capitale de l'Union) et Richmond (capitale confédérée). Sur ce terrain difficile, rien de décisif n'est obtenu, malgré de véritables carnages, dont le plus célèbre a lieu à Gettysburg, en Pennsylvanie, à l'été 1863: l'offensive des troupes sudistes du général Lee y est stoppée, mais il faudra maintenir jusqu'à la fin de la guerre d'importants effectifs dans la région. Le Nord remporte ses premières victoires importantes sur le front de l'Ouest, sur les territoires du Tennessee et du Mississippi: les confédérés perdent définitivement le contrôle du grand fleuve après la chute de Vicksburg, en juillet 1863, et se retrouvent bientôt acculés aux contreforts occidentaux des Appalaches. La progression des armées nordistes se fait ensuite vers l'Atlantique, de Chattanooga à Atlanta, puis à Savannah, qu'elles atteignent en décembre 1864; dès lors, les forces sudistes, coupées en deux, se trouvent sans espoir. Lee capitule à Appomattox, en avril 1865. Une semaine après, Lincoln est assassiné au théâtre de Washington; le vice-président Johnson, originaire du Tennessee, le remplace.

 

    11. La difficile reconstruction

L'abolition de l'esclavage

Le statut des Noirs devient très vite le problème central. Le 13e amendement de la Constitution, adopté en décembre 1865, proclame l'abolition de l'esclavage sur tout le territoire américain. Pour éviter que les 3 millions d'affranchis n'émigrent massivement vers le nord, le gouvernement fédéral crée un bureau chargé de leur réinsertion sur place; ce dernier favorise bien l'entrée des Noirs dans la fonction publique, mais il ne peut faire grand-chose pour l'immense masse des anciens esclaves, qui se retrouvent sans possessions foncières et sans qualification. L'agriculture du Sud ne peut, du reste, se passer de leurs bras.

 

    12. L'opposition sudiste

En outre, le Nord apparaît bien vite incapable de susciter un renouvellement des élites politiques du Sud. Les pouvoirs publics qui sont mis en place à l'automne 1866 rassemblent d'anciens notables et dirigeants confédérés que le gouvernement Johnson a trop souvent la faiblesse de reconnaître, bien qu'ils aient, pour la plupart, été exclus de l'amnistie proclamée par Lincoln. Sous leur houlette, les législations locales reconstituent un cadre propice à l'assujettissement des Noirs (exclusion du droit de propriété, répression du vagabondage, interdiction de vote), et les premières violences collectives ou expéditions punitives dirigées contre ces derniers laissent les nouvelles autorités sans réaction. Le président Johnson, républicain, est accusé par les radicaux de son parti – qui emportent de nombreux sièges au Congrès lors des élections de 1866 – de laisser les sudistes maîtres chez eux et de ne pas envisager la reconstruction de manière assez dirigiste; de faire, au bout du compte, le jeu des démocrates. Contre sa volonté, le Congrès impose les 14e et 15e amendements, qui reconnaissent aux Noirs l'égalité des droits politiques. Désavoué, Johnson doit céder la place, lors de l'élection de 1868, au général nordiste le plus prestigieux de la guerre, Ulysses Grant, qui est élu facilement.

 

    13. Un clivage persistant

Mais la nouvelle administration ne réussit pas davantage à réformer en profondeur les structures politiques et sociales du Sud. Après avoir forcé les anciens États confédérés à réviser leur Constitution, elle laisse se mettre en place des gouvernements “radicaux” dominés par des personnages arrivistes et sans scrupules, soucieux surtout de détourner à leur profit l'argent public destiné au relèvement d'une économie épuisée, et qui s'enrichissent en rachetant à bas prix les terres des planteurs ruinés. Ces carpetbaggers (“aventuriers politiques”, souvent originaires du Nord) et ces scalawags (“bons-à-rien”) sont bientôt identifiés par la population blanche au parti des Noirs, et suscitent des rancœurs innombrables. Dès 1867, des sociétés secrètes racistes, du type Ku Klux Klan, commencent à fleurir dans le Sud, mais le pouvoir fédéral n'ose pas prolonger l'occupation militaire au-delà de 1870. Aux élections de 1874, les autorités de transition sont emportées, et le parti démocrate reprend les rênes du pouvoir dans l'ex-Confédération. L'ancienne aristocratie de la plantation, désormais dépouillée des moyens matériels de sa domination, se fait plébisciter par la masse des petits Blancs, sur la base d'un programme axé sur la préservation de la suprématie supposée de la race blanche... La question du devenir des anciens esclaves ne sera pas réglée avant le grand mouvement des droits civiques des années 1960. De ce point de vue, la guerre de Sécession a permis un pas en avant bien réel, mais qui est loin d'avoir été décisif.

 

 

LA GUERRE DE SECESSION